
Ils me font peur.
Ils parlent sans secret, ils disent tout des hontes et des erreurs comme si c’étaient des jouets sur un plateau, comme s’il fallait les prendre dans ses mains et s’amuser avec.
Ils ne nient rien, ils assument les fonds et les formes, ils regardent droit et ils rigolent de ta gêne.
Ils m’ont offert un collier, un collier de brindilles qui me griffent le cou quand je tourne la tête trop vite. Je leur demande si le leur aussi les griffe et ils disent que oui, c’est comme ça, ça fait un peu mal mais ce n’est pas grave. Qu’à la longue ce qui fait mal peut faire du bien et ce qui fait du bien peut faire mal. On ne sait pas quand l’inversion se produit alors en attendant mieux vaut garder le collier de brindilles, et ne pas être trop bien pour éviter d’être trop mal plus tard.
Je sais. Je sais que le bien peut se changer en mal du jour au lendemain. Je ne le leur dis pas. Ne pas avoir de secrets, moi, je ne sais pas faire. J’ai besoin de dissimuler comme si j’avais froid tout le temps et qu’il fallait me couvrir de couvertures. Moi-même je ne sais pas à quoi je ressemble sans ces couvertures. J’ai oublié mon corps et encore plus le motif des traits que j’y avais tracé. Si je m’en souvenais je me mettrais à pleurer, ils le verraient et ne comprendraient pas que je verse ces larmes sans donner d’explications.
Ils auraient de la peine pour ma peine et me demanderaient si c’est un bonheur qui vient de se changer en malheur et si autour de mon cou les griffures sont devenues des caresses. Je redoublerai de sanglots car ils me parlent de mon corps et je ne connais pas mon corps, caché sous les couvertures, je ne sais ni la couleur de mon sang, ni la texture de ma chair, je n’ai d’yeux et d’oreille que pour choisir ce qu’il me faut oublier et mes souvenirs se diluent dans la mousse de la voie lactée.
– C’est une manière d’être, je pourrais leur expliquer. Une manière pas parfaite mais qui entre deux précipices, deux éclats de vide, est la seule qui me garde en équilibre.
– Équilibre ? relèveraient-ils. Ton équilibre ressemble à une absence. Pour nous il y a le bien, le mal, et puis l’inversion. L’équilibre c’est l’état de quand il n’y a plus rien. L’équilibre entre deux précipices, comme tu dis, ne peut être qu’un autre trou, la première des béances, le néant du commencement, celui dont nous tentons tous de nous éloigner en nous remplissant d’histoires, de détails et d’émotions. De bien, de mal, de griffures et de caresses. Regarde, ça y est, autour de ton cou les brindilles sont devenues des tiges fleuries.
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